Zeïtoun: Le Grande Insurrection VIII

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Prise d'Androun

Après sa défaite à Chivilgui, Yajidj-Oghlou s'était enfui à Androun et là, il avait, avec le consente ment du gouverneur, mis en prison tous les habitants arméniens; ils étaient au nombre de quatre cents, hommes, femmes et enfants, et il y avait parmi eux des hommes qui étaient dans les fonctions du gouvernement. Pendant onze jours on n'avait presque pas donné ni à manger ni à boire aux prisonniers.

Le peuple était très excité à Zeïtoun et voulait, le plus tôt possible, sauver ses frères torturés. Nous avons envoyé une quarantaine de cavaliers à Four-nous, pour qu'ils y forment un seymen et qu'ils marchent sur Androun, conduits par le vartabed Bartholoméos. Le vaillant vartabed sauta sur son cheval et s'écria: «Que ceux qui aiment le Christ viennent après moi.» Trois cent cinquante personnes le suivirent, dont cent étaient sans armes. Les Turcs avaient appris l'arrivée des Arméniens; ils avaient formé un seymen avec trois mille soldats, gendarmes et bachi-bozouks, tous bien armés: le seymen était conduit par le gouverneur et le juge d'Androun, et par les chefs Dour-dou-Bek. Yayidj-Ogblou, Murtaza-Agha, Sullu-Agha, Hadji-Effendi et Youssouf-Tchavouche.

Ils s'étaient tous rangés derrière des barricades, à une heure de distance d'Androun, devant la forteresse d'Azdi, à l'entrée de la plaine et ils attendirent impatiemment l'arrivée des Arméniens. Ils avaient d'abord voulu égorger un à un tous les prisonniers de la ville; mais le gouverneur, de peur que les soldats ne soient lassés par ce massacre, leur avait dit: «Ceux-là sont toujours à notre disposition ; nous pouvons les égorger quand nous voudrons; tâchons d'abord d'écraser les insurgés.»

Le 15 novembre, le vendredi mutin, le combat commença. Au point du jour, les Arméniens étaient arrivés à l'entrée de la plaine et s'étaient divisés en trois; le vartabed Bartholoméos, à pied, et tirant son cheval derrière lui, passa à la tête d'une partie des fantassins et se mit à traverser un ravin en se dirigeant sur l'aile droite de l'ennemi, sans en être vu; les autres fantassins se dirigèrent sur l'aile gauche, en passant sous la forteresse d'Azdi, cachés dans les broussailles; les cavaliers, con duits par le prince Nichan Yéni-Dunia et Tcholakian Panos, s'élancèrent tout droit sur le centre de l'ennemi. Les Turcs commencèrent une vive fusillade, mais sans aucun succès. Au même moment, le vartabed Bartholoméos, étant arrivé tout près de l'ennemi, s'élança tout d'un coup en poussant des cris effrayants et commença l'attaque; les autres fantassins firent la même chose à l'aile gauche. Les Turcs se virent cernés de toute part, et après une résistance de deux heures prirent la fuite. Les Arméniens les poursuivirent longtemps et en massacrèrent un grand nombre; Bartholoméos, monté sur son coursier, donnait lui-même l'exemple à ses combattants; il empoignait les fuyards et les jetait à ses gens, en leur criant: «Revêtez-les de la chemise rouge, et que Dieu vous absolve!» Ce jour-là, les Turcs avaient perdu quelques centaines de soldais, parmi lesquels se trouvaient leurs chefs Dourdou-Bek, Abaza, Murtaza-Agha, Sullu-Agha, Hadji-Effendi et Youssouf-Tchavouche; c'est dans la poche de Dourdou-Bek que nos hommes avaient trouvé la lettre, ci-dessus mentionnée, du gouverneur de Marache. Le désir du vartabed c'était de capturer Yajidj-Oghlou et de l'amener à la caserne, mais le chef turcoman avait été le premier à prendre la fuite et d'aller se réfugier dans le district de Kars-Zulcadrié, où il avait raconté avec épouvante à ces coreligionnaires que les Arméniens avaient avec eux quelques milliers d'Européens; cette légende avait été crée par la présence d'un vieillard du nom de Mardiros, auquel nous avions donné un chapeau qu'il portait tout en conservant ses sabots et sa culotte de montagnard oriental.

Une fois les Turcs mis en déroute, la première chose que fit le vartabed, ce fut de courir à la prison pour en faire sortir les Arméniens. Ces pauvres gens, exténués de faim et do souffrance, étaient plongés clans un profond désespoir et croyaient que leur fin était arrivée; ils crurent rêver en voyant entrer dans la prison le vartabed Bartholoméos; plusieurs d'entre eux s'étaient jetés à ses pieds embrassaient ses mains en pleurant. En quelques instants, nos combattants firent sortir les prisonniers et les conduisirent tout droit à la boulangerie de la ville où on leur distribua les pains qui y étaient amassés pour les soldats turcs.

Les insurgés pillèrent toutes les maisons, le marché et le palais du gouvernement, puis mirent le feu à la ville. Vers le soir, surchargés de butin, ils retournèrent à Fournous et Gaban; ils étaient accompagnés de tous les Arméniens sauvés à la prison d'Androun, et comme les femmes et les jeunes filles, très affaiblies, ne pouvaient pas marcher, les cavaliers étaient descendus de leurs chevaux et les y avaient fait monter, tandis que d'autres portaient les enfants sur leurs épaules.