Zeïtoun: Le Grande Insurrection III

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Les motifs de l'insurrection et la décision

Une première rencontre eut lieu entre les Arméniens et les gendarmes, le 17 août. L'Arménien Djellad qui était allé avec un ami au village de Dache-Olouk pour voir sa mère, avait été assailli par une quarantaine de gendarmes de Goguisson. Tous deux s'étaient défendus pendant une demi-heure et avaient réussi à mettre les Turcs en fuite.

Le 12 du mois de septembre, une bande de Kurdes attaqua la maison d'été du maire d'Alabache, l'arménien Khatcher-Kaiïa; les Arméniens d'Alabache résistèrent aux Kurdes, en tuèrent deux et chassèrent les autres. Des gendarmes de Zeïtoun, à la suite de cet incident, allèrent plusieurs fois à Alabache dans l'intention d'arrêter Khatcher-Kaiïa et ses acolytes: les Arméniens no voulaient pas se rendre, et lorsque les gendarmes arrivèrent en très grande nombre, ils se retirèrent dans les montagnes.

Le 30 septembre, une grande manifestation avait été faite à Constantinople par les Arméniens. Nous ne connaissions pas ce qui s'était passé, et nous vîmes avec étonnement que les Turcs et le gouvernement lui-même prirent, tout d'un coup, une attitude menaçante envers les Arméniens; en quelques jours les villages arméniens furent mis en état de siège. Dans les villages de Goguisson, le Circassien Mehemmed-Bek forma un seymen et se mit à persécuter les Arméniens de ces parages. Dourdou-Bek Abaza persécutait les Arméniens de Gaban, et le plus sanguinaire de tous, Zulfahar-Zadé Vayidj-Oghlou pressurait ceux d'Androun. Tous les jours, des Arméniens de ces villages arrivaient à Zeïtoun et demandaient à être protégés; mais nous attendions encore, jugeant que le moment n'était pas arrivé de nous insurger.

Le 10 octobre, le gouvernement de Zeïtoun avait envoyé, pour une dernière fois, à Alabache, deux gendarmes pour examiner, en secret, la situation des Arméniens, en vue d'une attaque décisive. Les Alabachiotes, emportés par la colère, attachèrent ces deux gendarmes à un arbre et les brûlèrent. Cet acte d'audace eut son résultat: le gouvernement n'osa plus envoyer ni gendarmes ni espions à Alabache; seulement, des bandes de bachi-bouzouks et des bataillons de réguliers commençaient, peu à peu, à cerner le Zeïtoun par ses limites lointaines; ils arrêtèrent les communications des Zeïtouniotes avec Marache, Albisdan, Androun et Goguisson, et emprisonnèrent les Zeïtouniotes qui se trouvaient dans ces endroits.

Le 16 octobre, le capitaine de Marache, le Circassien Hadji-Aslan-Agha, vint à Zeïtoun avec quinze gendarmes, en apportant des ordres secrets. Après y être resté un jour, il s'enfuit de nuit et se rendit dans les villages de Pertous. Il y réunit une centaine de Turcs et voulut passer le fleuve Djahan pour incendier Alabache; les Arméniens, après une heure de combat, parvinrent à les repousser.

Le 19 octobre, Aslan-Agha réunit encore une fois deux cents Turcs et essaya d'entrer à Alabache par un autre passage; il fut, cette fois encore, repoussé par les Arméniens.

Pour le district d'Androun, le danger vivant c'était Yayidj-Oglilou; Djellad, ce Zeïtouniote renommé pour sa bravoure, se chargea de délivrer le pays de ce tyran; il partit avec dix compagnons, le 17 octobre. Yayidj-Oghlou avait déjà avec lui un millier de Turcomans. Djellad jugea imprudent d'aller affronter une force considérablement supérieure et retourna. En chemin, près du passage de Seg, il rencontra une bande nombreuse de Kurdes Ghoumarlis; ceux-ci voulurent les attaquer; un combat eut lieu, quatre Kurdes furent tués, sept furent blessés et les autres se mirent en fuite, les Arméniens ramassèrent le butin que les Kurdes avaient laissé et retournèrent dans leur refuge.

Après ces incidents, nous avons compris que la vie des Arméniens du Taurus était en danger; le massacre ne devait point tarder; alors, nous avons laissé de côté tous les calculs de prudence et nous avons décidé de devancer l'ennemi, nous avons envoyé un appel aux princes et aux maires arméniens, nous les avons invités à se réunir pour tenir un conseil et pour organiser l'insurrection.

Ce fut le jeudi 24 octobre que nous avons dé ployé un drapeau rouge dans la vallée de Karanlik-Déré (vallée ténébreuse), entre le village Mavenk et la rivière de Tékir.

Dès le matin, les notables de tous les villages arméniens arrivèrent accompagnés de quelques combattants. On distinguait, parmi eux, le vartabed Bartholoméos, supérieur du couvent de Four-nous, ce type magnifique de prêtre guerrier, Der-Mardiros Der-Mardirossian, prêtre du village de Télémélik, âgé de soixante-dix ans, et le prince Nazareth Yéni-Dunia, le frère cadet de Babig-Pacha, qui arriva avec Hadji-Merguénian, un des chefs d'insurgés de Zeïtoun.

Le prince Nazareth est un bel homme de haute taille, bien bâti, âgé de trente-deux ans. Lorsque Babig-Pacha se réconcilia avec le gouvernement, Nazareth revint d'Alep où il était allé en captivité et fut nommé gendarme à Zeïtoun à l'âge de seize ans. Il avait la bravoure de son frère, avec plus de ruse et de diplomatie. Après la mort de Babig, le gouvernement l'éleva au grade de sergent, et dès lors, il fut connu partout sous le nom de Nazareth Tchavouche. Pendant quelque temps, il servit le gouvernement avec loyauté et il fut récompensé parles décorations de Médjidié et de Sadakat; mais après les événements de 1890, le gouverne ment l'exila deux fois à Alep sous des prétextes futiles, et le força à embrasser l'islamisme en lui promettant de le faire colonel s'il acceptait, et en le menaçant de l'exiler à Bagdad s'il refusait.

Le prince refusa catégoriquement et réussit, à force de pourboires, à rentrer à Zeïtoun. Les derniers temps, il jouissait dans tout le Zeïtoun d'une grande autorité et le gouvernement le regardait d'un mauvais œil. Le colonel Effet-Bey avait reçu, vers le commencement du mois d'octobre, un télégramme du gouverneur de Marache 1, qui lui ordonnait de trouver un moyen d'envoyer le prince Nazareth à Marache ou de former un complot pour le tuer près de Pertous. Le prince avait compris le piège qu'on lui tendait et ne se rendait même plus à son poste. Le 24 octobre seulement, sur la demande des princes arméniens, il se rendit à la caserne. Il fut très cordialement accueilli par le colonel qui le persuada, avec beaucoup de douceur, d'aller à Marache. Lé prince feignit de consentir et partit bien armé. Mais en chemin, il tourna son cheval, et au lieu d'aller à Marache où l'attendait une mort certaine, il vint nous rejoindre dans la vallée de Karanlik-Déré.

A midi, nous commençâmes là délibération. Le drapeau rouge flottait au-dessus de nos têtes. J'ai ouvert la séance par quelques mots, où j'ai expliqué la situation et indiqué ce qu'il y avait à faire. Les notables parlèrent à leur tour et donnèrent leur opinion. Le vartabed Bartholoméos se distinguait parmi tous par la verve et la hardiesse de ses paroles; ce montagnard qui ne connaissait de l'Evangile que l'épisode de l'apôtre Pierre cou pant l'oreille de Malchus et qui n'avait jamais pu faire un sermon, trouva des expressions ardentes pour exhorter ses amis à combattre.

La discussion dura pendant deux heures; nous fixâmes notre plan de combat et voici les conclusions principales auxquelles nous sommes arrivés:

1° Lutter jusqu'à la mort pour défendre notre pays et pour obtenir une liberté économique et politique conforme aux exigences locales;

2° Ne pas faire de mal aux paysans turcs, si ceux-ci ne nous attaquent pas les premiers ou s'ils se rallient à nous, ou bien s'ils restent neutres;

3° Au bout de deux jours, poster les combattants arméniens au sommet du mont Chembek, pour attaquer la caserne.

L'assemblée fut close par des chansons patriotiques. Vers le soir, Mleh partit pour Gaban avec un groupe de compagnons pour chasser les gendarmes qui étaient venus opprimer les paysans.

Le vendredi matin, 13 octobre, tous les maires partirent pour amener le lendemain leurs seymen au camp fixé. Nous restâmes seuls aveu un petit groupe de combattants.

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1 Plus tard, nous avons trouvé ce télégramme dans la caserne.