Zeïtoun: Le Grande Insurrection II

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Notre entrée à Zeïtoun et notre rôle

Ici, on me permettra d'ouvrir une parenthèse pour expliquer notre présence à Zeïtoun.

Je suis né dans le Taurus; en 1888, j'ai quitté mon pays pour aller faire des études à Constantinople; en 1891, je suis allé en France; en 1893, sur l'invitation de mes compatriotes, je me suis rendu en Cilicie. Après le massacre de Sassoun, pressentant que des événements pareils menaçaient mes compatriotes, j'ai tâché de préparer la population à se défendre contre les attaques éventuelles des musulmans.

La jeunesse patriote du pays ne resta pas indifférente à mon appel; si faible que fussent ses moyens, elle se mit à préparer la défense.

En 1894, mon cher ami et mon compagnon d'armes, Abah, vint me rejoindre dans le même but. Abah était fils d'une grande famille de la Haute-Arménie; il devait se distinguer dans les combats que je vais raconter plus tard. Après les massacres de Sassoun, quelques Arméniens encore arrivèrent en Cilicie pour s'associer à la tâche que nous avions entreprise.

Pendant que le gouvernement organisait le massacre, nous avons décidé de nous disperser dans les différentes parties de la Cilicie pour y préparer l'æuvre de la défense. Moi, je me suis chargé de remplir cette mission à Zeïtoun, que je connaissais fort bien. Je fus accompagné par mes amis Abah, Mleh et par Hratchia, un jeune Arménien de la Grande-Arménie, qui, ces jours-là venait d'arriver d'Europe. Vers la fin du mois de juillet nous sommes arrivés à Zeïtoun. Je ne veux pas donner des détails sur les risques que nous avons courus en chemin; nous étions bien armés et nous avons su nous tirer d'affaire.

A Zeïtoun, nous avons trouvé un accueil enthousiaste. Cette vaillante population, qui depuis quel que temps s'était résignée à mordre son frein en silence, se redressa volontiers à notre appel. Un grand nombre de Zeïtouniotes vinrent nous rejoindre dans les montagnes où nous nous étions cachés. Il y avait des jeunes et des vieux: tous en avaient assez de cet état d'asservissement et étaient décidés à tout pour reconquérir leur liberté; ils embrassaient nos armes et ils s'écriaient: «Le combat est une fête pour nous; nous repousserons les Turcs». La présence de jeunes gens élevés en Europe et qui allaient dans ce pays se dévouer pour leurs compatriotes, emplissait d'émotion et d'admiration l'âme de ces rudes montagnards. Ils nous respectaient, ils suivaient docilement nos conseils; ils étaient venus tous avec des armes; il y avait même des enfants qui portaient un couteau ou un pistolet.

Nous avons avivé par nos paroles leur esprit de discipline et nous leur avons inspiré la conscience de la force morale. Nous leur parlions des grandes nations de l'Europe et do leur civilisation, et ils furent très heureux de constater que leur senti ment d'indépendance et la conception d'une vie libre qu'ils avaient formée dans leur simplicité de montagnards s'accordait parfaitement avec les idées de la civilisation européenne.

De jour en jour l'indignation grossissait parmi les Zeïtouniotes, à mesure que le gouvernement augmentait ses persécutions.

Mais, d'autre part, une certaine panique s'était répandue parmi les Turcs; un bruit avait couru (que des milliers de soldats européens étaient arrivés en ballons à Zeïtoun; parce que je parlais le français et qu'Abah et Mleh parlaient l'anglais, et parce que nous portions des chapeaux et des costumes militaires que nous avions improvisés nous-mêmes, les Turcs nous avaient pris pour des Français ou des Anglais. Pour le paysan turc, l'Anglais ou le Français est un être diabolique et ter rible.

Ils racontaient sur notre compte des histoires merveilleuses; ils croyaient que nous pouvions brûler de loin des milliers de musulmans au moyen de miroirs magiques, ou bien les étouffer en masse avec des esprits chimiques; ils croyaient aussi que nous avions des bombes à dynamite, et en prononçant ce mot ils se dépêchaient de dire le nom du Prophète pour se préserver de la mort.