Zeïtoun: Histoire de Zeïtoun VII
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La bataille de Kalender-Pacha
Le gouvernement turc cherchait une occasion propice pour pénétrer dans Zeïtoun et l'assujettir. Cette occasion se présenta, bien que ses suites ne furent pas celles que désirait le gouvernement.
Vers la fin du XVIII siècle et au commencement du XIX, des querelles intérieures éclatèrent entre les princes de Zeïtoun et le peuple. Une des causes principales de ces querelles, c'étaient les Turcs nommés Hadjilar qui demeuraient à Zeïtoun; ils avaient à peine une vingtaine de maisons, parlaient l'arménien et habitaient dans le quartier Sourénian. Les Sourénian, irrités contre ces Turcs, les chassèrent de leur quartier et les repoussèrent dans celui de Boz-Baïr; les Armeniens de ce quartier ne voulurent pas les recevoir, et les chassèrent vers Gargalar où ils s'établirent définitivement. Ce fut une cause de dispute entre les divers quartiers arméniens. Le Zeïtouniote est aussi facilement excitable qu'il est à l'ordinaire enclin à la concorde. Les disputes se changèrent bientôt en un combat véritable; Zeïtoun se divisa en deux partis, les Yéni-Dunia et les Sourénian d'un côté, les gens de Boz-Baïr et de Gargalar de l'autre. Pendant quelque temps ils s'entre-tuèrent; le combat se prolongea et devint si acharné que les partis rivaux furent obligés de séparer Zeïtoun en deux par une cloison de bois et rompre les uns avec les autres toutes relations, même celles de parenté.
Ce conflit dura sept ans; les gens de Boz-Baïr réussirent une fois à pénétrer dans la forteresse de Zeïtoun et massacrèrent la plus grande partie de la famille des Sourénian; deux jeunes garçons furent seulement sauvés de ce massacre et perpétuèrent la famille, en la divisant en deux branches dont l'une garda le vieux nom de Sourénian et l'autre porta celui de Passilossian, du nom d'un de ces jeunes garçons. Les Yeni-Dunia et les Sou-rénian, qui étaient vaincus par l'autre parti, demandèrent l'assistance du gouvernement turc. Celui-ci, qui suivait avec joie cette lutte intérieure, pensa que l'occasion présentée était la plus propice et s'empressa d'envoyer une armée (1805) sous le commandement de Kalender-Pacha; en même temps, le chef des tribus musulmanes d'Albisdan marcha contre Zeïtoun du côté du nord avec quelques milliers de bachi-bozouks. Kalender-Pacha ne réussit pas à entrer dans Zeïtoun; les Arméniens de Boz-Baïr et de Gargalar le repoussèrent par une forte résistance, et il fut obligé de camper sur les collines se trouvant en face de la ville de Zeïtoun.
La guerre dura neuf mois; Kalender-Pacha, voyant qu'il était impossible d'occuper Zeïtoun, essaya d'affaiblir les Zeïtouniotes en surexcitant leurs querelles intestines. Ainsi il s'unissait tan tôt à l'un des deux partis et tantôt à l'autre. Il réussit en effet à attiser la lutte fratricide. Au bout do neuf mois, croyant que Zeïtoun n'avait plus aucune force, il exigea que les deux partis à la fois acceptassent de se soumettre au gouverne ment et de payer un impôt de 20.000 piastres par an.
Devant le danger commun, les Zeïtouniotes oublièrent toutes leurs disputes futiles, se donnèrent la main tous ensemble. Ils comprirent le tort qu'ils avaient fait à la sécurité do leur petite patrie et à leur renommée morale. En une nuit ils étaient réconciliés; ils démoliront la cloison séparatrice, s'embrassèrent et jurèrent sur le fameux Évangile de Vassil de chasser, pas plus tard que le lendemain, les ennemis qui menaçaient la Patrie et l'Église.
Vers le matin, Kalender-Pacha, qui ne savait rien de ce qui s'était passé la nuit, fut surpris par les Zeïtouniotes qui tous ensemble étaient venus attaquer ses troupes. Les Turcs eurent des pertes considérables, et s'enfuirent, Kalender en tête, jusqu'à Marache. Cette glorieuse victoire établit définitivement le lien de fraternité entre les quatre quartiers de Zeïtoun.