Zeïtoun: Histoire de Zeïtoun V
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Le relèvement de Zeïtoun
Dès 1740, Zeïtoun se mit à recouvrer de nouveau sa force première. Les persécutions et les revers avaient fortifié le caractère des Zeïtouniotes et leur avaient appris que pour conserver leur position ils devaient imiter la conduite de leurs ennemis.
Jusque-là ils s'étaient contentés de défendre leur pays contre les attaques; ils commencèrent à attaquer eux-mêmes les tribus ennemies. Les tribus turcomanes avaient, en ce moment, entre elles des conflits perpétuels et s'affaiblissaient les unes les autres; les Zeïtouniotes en profitèrent pour les attaquer l'une après l'autre et les écraser, ayant toujours avec eux une de ces tribus qui les aidait pour anéantir les autres. En dix ans, ils nettoyèrent le mont Bérid de tous les Tédjirli, Djélikanli et Bozdoghanli qui s'y étaient établis.
Le défilé de Zeïtoun devint pour toutes ces tribus un passage d'enfer; pendant l'été, les princes de Zeïtoun se tenaient avec leurs combattants à l'entrée de ce défilé et demandaient le péage aux passants avant de les laisser passer sous l'angle formé par deux épées que tenaient deux d'entre eux. Les épées faisaient tomber les têtes qui ne voulaient pas s'incliner en signe de soumission.
Après avoir délivré leurs terres, les Zeïtouniotes commencèrent à aller au secours des vil lages arméniens. Les tribus turcomanes eurent avec eux des combats sanglants pour ne pas leur céder les beaux pâturages qu'ils avaient conquis et pour ne pas perdre leur domination sur les villages arméniens; mais ils furent vaincus et dis persés.
Vers lu fin du XVIII siècle, les tribus n'osaient plus passer, en été, près de Zeïtoun; elles avaient choisi les gorges de Képir et de Ghessek pour aller à Bin-Bougha et à Ouzoun-Yaïla. Les princes de Zeïtoun réussirent bientôt à devenir maîtres de ces gorges, aussi ils en firent une espèce de douane pour eux, et y demandèrent le péage aux Turcomans qui passaient par là.
Les Zeïtouniotes cessèrent de s'occuper de métiers agricoles, comme la culture de la soie et du coton; ils se mirent à exploiter de nouveau les mines de fer et à cultiver les vignes; le premier de ces métiers leur fournissait des armes et le second leur donnait du vin pour nourrir leur ardeur guerrière. Ils continuèrent toujours à avoir une grande estime pour les hommes instruits; ils croyaient toujours que l'instruction ennoblit et agrandit l'homme; mais ils étaient convaincus que dans leur situation, les lettres et les sciences n'étaient pas des nécessités indispensables et qu'elles pourraient même les affaiblir; ce qu'ils mettaient par-dessus tout, c'était la vaillance. Les jeunes filles refusaient d'épouser les hommes qui n'étaient pas braves.
A cette époque, les Zeïtouniotes devinrent tellement riches et puissants qu'ils se mirent à étendre assez loin de leur pays leurs invasions; ils allèrent surtout attaquer le district opulent d'Androun, ils attaquèrent trois fois les Bozdoghanli, incendièrent leurs villages et assouvirent les sentiments de vengeance séculaire qu'ils avaient contre eux.
Ils répandirent l'effroi parmi les tribus turcomanes et devinrent pour elles des démons fabuleux.
Le gouvernement turc regarda d'un mauvais æil le renforcement des Arméniens et s'efforça à les subjuguer; il excita contre eux toutes les tribus; mais ses efforts furent vains; les Zeïtouniotes étaient devenus trop puissants.
Pour donner une idée de la richesse de muni tions qu'ils avaient en ce temps-là, nous n'avons qu'à citer ce vers d'un poème épique, antérieur à l'an 1860:
- Dans chaque maison, il y a sept sacs de poudre.
Chaque sac contenait quarante litres de poudre, donc chaque maison en avait 280 litres; le litre, à Zeïtoun, équivaut à 3 kilos, cela faisait donc 850 kilos de poudre. Naturellement, les familles pauvres n'avaient pas, en temps ordinaire, plus de 2 ou 3 kilos; en temps de guerre, les princes et les aghas distribuaient des munitions. Il y avait une cinquantaine de familles riches qui possédaient une grande quantité de poudre; on a cal culé qu'à Zeïtoun il se trouvait toujours, en ce temps-là, 42,000 kilos de poudre. C'étaient les Zeïtouniotes eux-mêmes qui la fabriquaient, et elle était de la meilleure qualité. Pour le plomb, ils le trouvaient abondamment dans les mines qui existent aux environs de Zeïtoun, ils fabriquaient eux-mêmes les fusils qui, en ce temps-là, valaient mieux que ceux des troupes ottomanes, lorsque celles-ci n'étaient pas encore armées des fusils de Martini. Zeïtoun avec ses environs avait 15,000 combattants qui étaient tous armés. Cela présentait une force formidable. Et c'est ainsi qu'ils purent fermer quelque temps toutes les gorges devant les troupes ottomanes.