Zeïtoun: Histoire de Zeïtoun IX

From Armeniapedia
Jump to navigation Jump to search

<- Zeïtoun: Depuis les origines jusqu'à l'insurrection de 1895

Pélerinages des Zeïtouniotes

Dès les temps de la royauté roupénienne, les Arméniens de la Cilicie aimaient à aller chaque année par bandes nombreuses en pèlerinage à Jérusalem. Le plus précieux des présents faits au couvent de Saint-Jacques vient des pieux rois roupéniens. Les Zeïtouniotes, qui sont toujours restés très religieux, conservèrent cette coutume du pèlerinage, qui en même temps était pour eux une grande source de plaisir et d'intérêts. Aux temps où les bateaux à vapeur n'existaient pas encore, lorsque les voiliers étaient exposés à toutes sortes de risques, les Zeïtouniotes allaient par voie de terre en pèlerinage et ils gagnaient de l'argent en conduisant d'autres pèlerins sur leurs mulets. Depuis 1890, le pèlerinage a presque cessé à Zeïtoun à cause de l'appauvrissement de la population et par suite des persécutions politiques. Mais on y voit encore des vieillards qui portent sur leurs bras une fougue rangée de tatouages indiquant le nombre de leurs pèlerinages, qui s'élèvent chez les uns jusqu'à trente.

Les Zeïtouniotes trouvaient l'occasion de prou ver leur vaillance même pendant le pèlerinage. En passant par la Syrie, ils avaient toujours des rencontres avec des bandes turcomanes, arabes ou druzes, ils les mettaient en fuite et leur enlevaient le butin qu'ils allaient offrir au tombeau du Christ pour être purifiés de leurs péchés. C'est pourquoi les pèlerins arméniens, grecs ou syriens qui voulaient partir d'Alep ou de Marache pour Jérusalem, préféraient avoir des muletiers zeïtouniotes.

Les Zeïtouniotes avaient quelquefois recours à leurs armes, même près du Saint-Tombeau. Des pèlerins riches qui attendaient debout du matin jusqu'au soir dans l'église de Sourp Haroutioune, avaient de la peine, malgré tout ce qu'ils Bayaient aux vartabeds, à voir la lumière qui brûle sur le Tombeau, parce que les premières places étaient réservées aux Zeïtouniotes, comme aux «guerriers défenseurs de la lumière». Les prêtres arméniens et grecs, qui tâchent, dans des buts intéressés, d'exciter le fanatisme et l'amour-propre du peuple, faisaient naître chaque année sur les Saints-Lieux un conflit entre les Grecs et les Arméniens. Les uns voulaient allumer leurs cierges avant les autres à la lumière du Tombeau, la querelle commençait et ne tardait pas à se changer en un combat sanglant; les palicares grecs et macédoniens en venaient aux mains avec les Zeïtouniotes; il y avait des morts et des blessés des deux côtés; les Zeïtouniotes l'emportaient presque toujours.

Mais le pèlerinage le plus solennel et le plus agréable des Zeïtouniotes, c'était celui qu'ils fai saient chaque année au couvent Sourp-Garabed de Césarée; ils y allaient par plusieurs centaines pendant les fêtes de la Transfiguration.

Le défilé était pittoresque et avait presque une allure épique. Vêtues d'intari en satin rayé, les vestons en drap brodé de filigranes d'or arrivant jus qu'à la ceinture, le visage recouvert d'une voilette, les pieds chaussés de souliers rouges, les cheveux séparés en plusieurs tresses liées par une rangée de pièces d'or, la plupart ayant à leurs ceintures des pistolets et des poignards enfoncés dans les baudriers d'argent: c'étaient les femmes de Zeïtoun qui allaient montées sur des mulets tout sonores de grelots.

Devant et derrière les mulets ou à leurs côtés, marchaient des jeunes hommes robustes; ils avaient à leurs pieds des sabots légers et étroits; des culottes de laine enveloppaient leurs jambes; une ceinture rougeâtre serrait leur taille, contenait 1rs pistolets et portait les poudrières de cuir; de la ceinture pendaient les sabres longs d'un demi-mètre, à côté de petites boîtes à poudre et de sacs qui contenaient des balles: leurs bustes étaient recouverts de vestons en laine bariolée, les manches relevées jusqu'aux coudes; et les manches très longues de leurs chemises, attachées par leurs bouts, passaient derrière leurs nuques; à leur dos, du côté droit, se dressaient les fusils, ayant des canons d'un mètre de long, et des crosses plates en forme triangulaire; ils portaient le fez tunisien, enveloppé de grands kefié de soie rouge, plusieurs fois enroulés, donnant un aspect terrible à leurs visages; ils étaient tous de haute taille avec de blondes moustaches retroussées sur leurs figures alertes et jeunes 1: c'étaient les braves de Zeïtoun.

Les princes de Zeïtoun accompagnaient la procession: ils étaient à cheval; ils portaient de larges culottes plissées en drap brodé, le buste recouvert d'une tunique tissée de fils d'or sur laquelle brillaient les boutons en soie jaune; ils avaient pour ceinture des châles de Lahore ou de Tripoli, des vestons en drap brodé d'or couvraient leur dos, et leurs armes se distinguaient parmi toutes les autres par leur qualité et par leurs ornements d'argent.

On voyait encore dans ce défilé les chanteurs avec leurs violons et leurs outres gonflées de vin; des adolescents versaient le vin à tout le monde et les poètes chantaient les avetch du pays.

Le défilé s'arrêtait souvent en chemin, mais dès qu'il se remettait en marche, il regagnait bientôt le temps perdu; les Zeïtouniotes sont de grands marcheurs.

Les pèlerins avaient souvent affaire avec des tribus turcomanes qu'ils rencontraient en chemin, et souvent ils leur prenaient les chevaux et les mulets, pour arriver plus vite au couvent de Sourp-Garabed.

Au couvent de Césarée, comme à Jérusalem, les vartabeds avaient parfois maille à partir avec les Zeïtouniotes; ici encore les moines aimaient à louer très cher leurs cellules aux riches pèlerins de Constantinople et de Césarée; les Zeïtouniotes ne trouvaient pour eux-mêmes que les écuries; mais ils forçaient toujours les moines à coups de bâton et quelquefois de couteau, à leur donner de bonnes chambres.

Apès être restés au couvent pendant une semaine, les Zeïtouniotes retournaient à leur pays, en interrompant souvent leur voyage par des combats avec des bandes musulmanes.

---
1 Un voyageur français, M. Léon Paul, qui a visité Zeïtoun en 1864 trace le portrait des combattants zeïtouniotes de la manière suivante «Tous ces montagnards sont jeunes; le plus âgé ne dépasse pas vingt-cinq ans: tous ont l'air ouvert, aimable, distingué; nous avons peine à nous figurer qu'on risque quelque danger a passer au milieu d'eux sans escorte.»