Zeïtoun: Histoire de Zeïtoun IV
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Le renforcement des tribus turcomanes. - Abaza. - L'affaiblissement de Zeïtoun
Au commencement du XVII siècle, quelques tri bus turcomanes et kurdes devinrent très puissantes en Cilicie, surtout dans les parties montagneuses, et réduisirent le pays à un état d'anarchie générale.
C'est en 1865 seulement que les Ottomans réussirent à pénétrer dans ces montagnes et à dominer ces tribus rebelles. Jusque-là, la domination ottomane n'était que nominale. Une lutte féodale s'était perpétuellement livrée dans ce pays tout le long de cinq siècles. Même dans la plaine, les communications étaient difficiles et les voyages pleins de dangers; le pillage et le meurtre étaient devenus une chose normale. Chaque chef de tribu était le monarque absolu de son district. Parfois, dans des circonstances extraordinaires, ils en voyaient des présents aux chefs féodaux de Marache, pour gagner leur amitié et leur assis tance; ces présents se composaient presque toujours d'objets enlevés aux caravanes 1. Il entrait très peu d'argent de ce pays dans le trésor du gouvernement. En ces temps-là, même les pachas et les fonctionnaires ne faisaient leurs fortunes qu'au moyen de pillages ou bien avec les présents qu'on leur envoyait pour les corrompre.
En temps de guerre, les chefs de tribu, sur l'invitation du gouverneur général, allaient avec leurs seymen (troupes irrégulières) au secours des troupes ottomanes. Parfois aussi, lorsque les circonstances leur étaient favorables, ils refusaient d'aller à l'aide des Turcs et se proclamaient indépendants. Leurs seymen se composaient de la foule des habitants des villes et des villages.
Les principales de ces tribus étaient les Djérid, les Rahanli, les Tédjirli, les Bozdoghan, les Djélikanli, les Avchar. Quelques-unes de ces tribus avaient, selon la tradition, une origine arménienne et ils conservent jusqu'à présent quelques rites chrétiens dans leurs cultes. A présent, les Djérid ont occupé les endroits se trouvant entre Kurde-Dagh et l'Amanus; les Rahanli tiennent la plaine d'Amouk-Ova; les Tédjirli demeurent aux extrémités septentrionales de l'Amanus; les Bozdoghan à l'ouest de Zeïtoun; les Djélikanli aux pieds do l'Amanus du côté de l'est, dans le district qui s'appelle maintenant Islahié, les Avchar au nord do Zeïtoun et les Varchak à l'ouest de Hadjin. Toutes ces tribus se composaient de pasteurs nomades. Pendant l'hiver ils descendaient dans les plaines chaudes de Tchoukour-Ova et d'Amouk-Ova, et au printemps ils montaient aux flancs des monts do Zeï toun, de Goguisson, d'Androun et de Hadjin, dont les beaux pâturages sont connus sous quelques noms spéciaux: Bin-Bougha, Kaz-Bel, Naldache, Odzoun-Yaïla, etc.
Les Bozdoughanli, qui étaient la tribu la plus voisine de Zeïtoun, devinrent très puissants. Leur chef Abaza domina toute la partie orientale du Taurus et étendit même sa puissance sur Marache, de 1615 à 1634, en y assujettissant les Zulcadir. Pendant les trente années du règne de ce tyran, le pays tout entier nagea dans le sang. Ce n'était pas pour des buts politiques mais pour assouvir ses instincts sauvages qu'il aimait à incendier, à massacrer et à piller toutes les popu lations du pays, des chrétiens comme les musul mans appartenant à des tribus ennemies.
C'est en ce moment que Gantchi, Gaban et Androun s'affaiblirent; des Turcs s'établirent à Gantchi et près de Zeïtoun se fondèrent les vil lages turcs de Tanour et Deunghel. En même temps fut fondé le village turc de Gaban, qui de vint l'endroit de villégiature et l'abri d'Abaza, après la mort duquel il resta encore la propriété de sa famille et l'antre de leurs brigandages.
Les pachas turcs voyant qu'Abaza devenait puissant, de peur qu'il ne fondât une nouvelle et dangereuse domination, le poursuivirent, finirent par l'arrêter et le décapitèrent en 1634.
Après sa mort, ses successeurs continuèrent sa tyrannie et opprimèrent le district d'Androun. Une famille du nom de Zulfahar opprimait en même temps, et avec plus de rigueur, le district d'Androun; cette famille a des liens de parenté avec les Abaza; elle existe jusqu'à présent et constitue une des forces principales des Zulcadir.
La lutte entre les tribus nomades et les Zeïtouniotes avait plutôt des causes économiques que politiques; les tribus voulaient occuper les pâturages et les terrains des Zeïtouniotes et des Arméniens des environs; la lutte fut longue et furieuse, et pendant ce temps-là les Arméniens s'affaiblirent et s'épuisèrent.
Le gouvernement turc contribua à leur affaiblissement. Les Zeïtouniotes se défendaient tout seuls contre un grand nombre, de tribus; mais le gouvernement turc, en vue de les supprimer, en voyait des troupes régulières au secours des tribus turcomanes. C'est ce qui explique pourquoi les Zeïtouniotes livrèrent dans ce siècle plusieurs combats contre les troupes du gouvernement. Pendant toutes ces luttes, la ville de Zeïtoun resta toujours indépendante, mais sans pouvoir défendre ses environs. Un moment elle perdit même les magnifiques pâturages du mont Hérid, où vinrent s'établir les Tédjirli et les Bozdogbanli. Les Zeïtouniotes laissèrent passer librement ces tribus près de Zeïtoun et ne leur demandèrent plus de péage.
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1 Pour donner une idée des ravages que commettaitent ces chefs de tribu, nous citerons seulement ceux qui se sont commis dans ce siècle par les chefs de tribu de Païas.
Au commencement de ce siècle, le chef turcoman Kutchuk-Ali ou Khalil-Bek régnait dans le district de Païas. Il avait mis sous impôts non seulement les populations de ce pays, mais il pillait même la grande caravane envoyée à la Mecque par le Sultan. Les pachas ottomans essayèrent plusieurs fois de s'emparer de cet homme, mais ils ne réussirent jamais et furent toujours repoussés. Ils finirent par lui accorder le titre de pacha. Cela ne suffit pas pour retenir Khalil-Bek qui continua ses inclusions, il se mit même à attaquer les navires européens et rançonner les voyageurs. Au moment où la caravane de la Mecque passait, pour jeter l'effroi sur les pèlerins, il faisait pendre deux prisonniers à l'entrée du pont de Païas. Il mourut en 1808. Son fils Dédé-Pacha continua l'œuvre de son père. En 1813, au moment du passage de la caravane de la Mecque, ayant appris que la fille de Sultan Mahmoud se trouvait parmi les pèlerins, il l'enleva. Les pachas turcs ne purent jamais s'emparer de lui. En 1818, il fut arrêté par trahison et tomba aux mains de Mustafa-Pacha de Beïlan. On lui coupa la tête et on brûla son corps.
Son frère Mestek-Bek, qui n'avait encore que douze ans, s'enfuit à Marache où il se réfugia die Ahmed Pacha-Zulcadir. Dix ans après il quitta Marache pour retourner dans son pays, mais il le trouva occupé par Hadji-Ali-Bek, le chef de la tribu Karadja qui régnait en ce moment sur la plus grande partie des plaines de laCilicie. Il rencontra d'abord une vive hostilité de la part de Hadji-Ali-Bek, mais dans quelque temps Ils trouvèrent le moyen de se réconcilier. En 1832, comme Ibrahim-Pacha a etait venu d'Egypte devant le passage de Beïlan et que Husséïn-Pacha s'etait dirigé contrelui avec les troupes ottomanes, Mestek-Bek, pour se montrer ami des Turcs, alla aider Husséïn-Pacha à passer ses troupe par les gorges Husseïn-Pacha l'envoya à Conslanlinople pour qu'il y fût récomoensé. Mais le Sultan le condamna à mort secrètement. Mestek-Bek reussit à s'enfuir de la prison sous un déguisement européen et revint dans son pays. Après la victoire d'Ibrahim-Pacha (1832) il s'allacha à lui et devint une sorte de gouverneur général sur les trente chefs féodaux de l'Amanus. En 1843, le gouverneur d'Adana, Ahmed-Izzet Pacha, voulul le soumettre, mais il ne réussit pas; cela l'irrita el il satisfit sa colère en rava geant tout le Païas el eu massacrant la famille de Meslek; celui-ci s'enfuit encore à Marache chez les Zulcadir, de là il se rendit à Alep, puis à Conslantinople. Deux ans après il retourna dans sou pays el parvint peu à peu à en redevenir maître. Dans ces dernières campagnes il était assisté par son fils Eumer-Agha. Ils ne se rendirent complètement qu'en 1865 après la chute des Cozan-Oglou, lorsque Derviche-Pacha, le généra lissime des troupes ottomanes, réussit à remporter une grande victoire sur les tribus indigènes. Le gouvernement turc lit transporter les fils de Mestek à Antioche, où ils sont établis définitivement. Le Sultan leur a donné la plus grande partie des domaines de Païas et il leur paye Je dix a cinquante, livres d'appointements mensuels (230 à 1130 francs).
Tout cela s'est passe à Païas; qui est situé au bord de la mer, où la force des Ottomans trouvait le plus facilement accès; on peut en présumer ce qui devait se passer dans l'intérieur de la Cilicie où il y avait la plus grande difficulté pour les troupes ottomanes de pénétrer.