Zeïtoun: Histoire de Zeïtoun I
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L'origine de Zeïtoun et sa fondation
Le nom de la ville de Zeïtoun n'est jamais cité dans les chroniques du temps des rois roupéniens 1. On ne le trouve pour la première fois que dans un manuscrit du xvie siècle, c'est-à-dire postérieure à la chute de la royauté roupénienne. Et, en effet, cette ville n'existait pas pendant la pé riode de l'indépendance arménienne de la Cilicie. Ceux qui devaient fonder la ville de Zeïtoun se trouvaient en ce temps établis dans la plaine, à Ane et à Ané-Tsor. Les chroniqueurs arméniens ont mentionné Ané qui, vers la fin du XIIc siècle, était gouverné par le seigneur Héri; de meme, ils oui souvent mentionné le district d'Arékine, qui est limité par la vallée, d'Ané-Tsor.
L'endroit où Zcïtoun se trouve aujourd'hui de vait être alors un lieu de villégiature pour les gouverneurs d'Ané; et probablement il s'appelait Kegh (village). Jusqu'à présent, les Zeïtouniotes donnent ce nom à leur ville, et n'emploient le mot de Zeïtoun qu'en parlant à un étranger. Ce sont les Turcs qui ont donné ce nom (qui veut dire, en turc, olive), à cause des bois d'olivier qui existaient là en grand nombre. La ville trahit d'ail leurs une construction relativement récente. Il n'y a que la forteresse de Zeïtoun qui porte une mar que d'antiquité; elle est située à l'ouest de la ville, sur un escarpement rocheux très élevé; elle a été reconstruite en partie dans ce siècle, mais on voit encore sur les rochers les restes de la vieille forteresse.
Deux siècles avant la chute de la royauté roupénienne, des Turcomans, des Persans et d'autres tribus musulmanes étaient venus s'établir dans diverses parties de la Cilicie. Les Caraman s'étaient installés à l'ouest de la Cilicie, entre l'Iconic et les districts arméniens de l'environ. Les Ramadan avaient obtenu des rois roupéniens le droit de paître leurs troupeaux en hiver dans la plaine d'Adana et en été sur les hauteurs du Taurus. Les Varchak s'étaient établis entre Dsamentav, Vahga et Gaïdin. Les Zulcadir ou Dulghadir étaient devenus très puissants du côté de Marache.
Quelques-unes de ces tribus se contentèrent de régner isolément dans leurs régions; mais les autres, unies aux Arabes, leurs coreligionnaires, attaquaient sans cesse les Arméniens, jusqu'à ce qu'ils eurent détruit la royauté roupénienne.
Peu de temps après la chute de cette royauté, les Zulcadir se rendirent maîtres de Marache, d'Albisclan, d'Androun et de Gaban, qui étaient alors celles des régions de la Cilicie où les Arméniens étaient le plus nombreux. Persécutés et torturés par ces races musulmanes, la plupart des habitants arméniens des plaines se virent obligés d'émigrer à l'étranger ou de se réfugier dans des sites difficiles ou bien autour de forteresses inaccessibles. C'est à cette époque que la ville de Zeïtoun a été constituée.
Voici la tradition par laquelle les Zeïtouniotes racontent la fondation de leur ville: - Au moment où la royauté roupénienne ago nisait, les Zeïtouniotes se trouvaient encore à Ané-Kahkig (petite ville Ané) et à Ané-Tsor (vallée d'Ane). Les Zulcadir vinrent attaquer Ané, et après un combat acharné, remportèrent la victoire, s'emparèrent de la petite ville et l'incendièrent. Les Arméniens, sans se décourager, se retirèrent vers le nord sur les collines nommées Saghir, y dressèrent, des tentes noires et se mirent à chanter le récit du combat, tout en nettoyant leurs armes. Le chef dеs Turcomans avait envoyé un espion pour aller voir ce qu'étaient devenus les Arméniens; il les croyait écrasés de désespoir et d'épouvanté, après tant do pertes considérables. L'espion revint tout stupéfait: «Maître, dit-il, ces chiens de Giaours ont des figures toutes joyeuses, ils dansent et chantent sous leurs tentes, et ils nettoient leurs armes». Le chef turcoman devient furieux à cette nouvelle, et marche encore une fois sur les Arméniens, avec l'intention de les détruire complètement. Le combat recommence, plus achаrné. Les Turcomans l'emportent encore. Lеs Arméniens se réfugient au pied du mont Bérid, la où se trouve le Zeïtoun actuel; ils tombent là, dénués de tout, sans avoir même de quoi manger; cette fois, ils ont perdu, même leurs tentes. Ils en improvisent avec des feuillages, et s'asseyant dessous, sans aucun découragement, toujours décidés à résister, ils recommencent à chanter leurs chansons de guerre, en tapant sur quelques casseroles qui leur restent, à défaut du violon qu'ils ont perdu. Le chef turcoman envoie encore son espion, qui revient raconter ce qu'il a vu. Le chef, admirant l'indestructible vitalité des Arméniens, s'écrie: «Je crois qu'il est impossible do subjuguer ces hommes; quel dommage qu'ils ne soient pas musulmans!» Et, levant son camp, il part.
Zeïtoun devient alors un nid de braves. La tradition se conserve, devient éternelle. L'histoire de cette petite ville fondée par une poignée de combattants, n'est qu'une longue suite de luttes.
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1 Lorsque la royauté bagratide d'Arménie fut détruite (XI* siècle), un grand nombre d'Arméniens émigrèrent en Cilicie, s'y installèrent, y créèrent une nouvelle patrie; le prince Roupen roussissant à dominer là partie montagneuse do ce pays, y établit une principauté arménienne qui porta son nom, et qui, plus tard, devint une royauté sous Léon II le Houptaicn; à la fin, le trone des Roupéniens fut occupé par quelques princes de la famille des Lusignan.